J'inaugure ce premier post d'anecdotes sur les activités du Théâtre du Sang.
On va commencer avec "Rage", la première pièce que nous ayons monté.
HISTOIRE D'UN DECOR
Le décor de "Rage" a été réalisé par nos soins en l'espace d'un week-end. Vu le prix délirant qu'exigeaient les "décorateurs professionnels", la troupe a préféré s'ateler à la tâche par elle-même. Nous voici donc pourvus d'une camionnette de location, embarqués dans une étrange galère...
Revenons sur la pièce.
"Rage" est une adaptation de "Devant la mort", une pièce écrite par Alfred Savoir et Léopold Marchand, tirée du répertoire du Grand Guignol. Pour ceux qui ne connaissent pas le genre, il s'agit d'un type de théâtre aujourd"hui défunt, qui connut son heure de gloire dans le lieu éponyme, situé rue Chaptal à Paris. Le concept en était redoutablement clair : exorciser toutes les peurs de l'époque par le théâtre. Pour chaque phobie identifiée, une comédie et une tragédie étaient écrites par nombre d'auteurs alors inconnus, qui par la suite furent autrement célèbres... mais ceci est une autre histoire.
"Devant la mort" était ainsi un huis clos dont les thèmes principaux variaient entre la contamination, la passion, l'adultère, et l'instinct de survie. Il fallait, à cet effet, un décor qui soit suffisament inquiétant ( sans en faire trop ) pour illustrer les combats intérieurs des personnages.
L'idée retenue fut celle de six panneaux qui composèrent la "résidence de chasse" du personnage principal. Ceux-ci, larges de trois mètres et hauts de deux mètres, seraient soutenus par des câbles reliés à des parpaings de douze kilos chacun... Deux portes furent également prévues, ainsi qu'une fenêtre barrée.
Toute l'équipe se retrouva ainsi à Château-Thierry, dans un garage prêté amicalement par le père de l'une des comédiennes, devant ces six immenses panneaux. Trente heures de folie douce se succédèrent alors. Difficile d'en retranscrire précisément la teneur, tant le sang de tout un chacun était imbibé d'alcool... la fatigue venant, nous jouâmes alors notre propre huis clos, filmé sur pellicule. Je visionnai récemment la bande, le sourire aux lèvres, la nostalgie au coeur. Bref, ce fut une expérience joyeusement chaotique, entre "Le projet Blair Witch" et "Dumb and Dumber".
Cependant, au petit matin, les fiers panneaux étaient joliment laqués de noir, d'étranges flammes rouges les grignotant par leur base.
Le voyage de retour faillit bien être fatal à ceux qui voyageiant avec le décor... les panneaux, très lourds, rompirent les câbles qui les amarraient à deux reprises. Tico et Juke furent presque écrasés sous leur poids. Heureusement, ce fut le canapé qui mourut ( en l'occurence le mien ). Nous voici donc au bord de la route avec des miettes de canapé.
Quelques jours plus tard, le décor fut rapatrié au Théâtre de la Providence.
Vint ensuite le choix des meubles.
Garance et moi avions repéré, dans un dépôt-vente de Vincennes, tous les accessoires nécessaires, à commencer par un splendide nouveau canapé, celui-ci datant d'u 19eme siècle, dans un style particulièrement diabolique ( pieds et pointe fourchue, un vrai bonheur )
Malheureusement pour lui, celui-ci n'échapperait pas à la malédiction des canapés qui, depuis le début de l'aventure, s'était abattue sur la pièce. Ainsi, il manqua s'écrouler en pleine représentation, alors que Philippe (le héros de la pièce ) allait répondre à la question : " C'est vous qui avez décoré la pièce ? "
Au fond de la salle, le metteur en scène ( guess who ? ) émit un son qui devait ressembler à un " bom bom bom ", bref le bruit d'une tête qui cogne contre le mur
Lors de la représentation suivante, alors que seules vingt minutes nous étaient accordées ( nous jouions en deuxième partie de soirée ) pour monter le décor ( je rappelle qu'il s'agissait de six immenses panneaux reliés à des cordes et des parpaings... pire qu'un meuble Ikea ), on entendit, dans les coulisses, le "vriiiiiiiii" caractéristique de la visseuse.
Ainsi nâquit Divan Frankenstein.
Imaginez un divan du 19eme siècle rafistolé avec des plaques de tôle. Enfin, il parait que l'Art est principalement accidentel. Si cela est vrai, alors ce divan était foutrement artistique
Les fixations du décor, elle-même, mériteraient un post entier, mais abrégeons... elles ne tinrent pas ( ou très peu ).
Sur cette planète, les marins et les théâtreux sont les deux types de personnes les plus superstitieuses. Il faut manquer de voir un décor s'écrouler en pleine réprésentation pour le comprendre ! Le théâtre est au-dela de la science et de la raison. C'est un art qui a ses propres règles, plus proches de celles de Murphy que de celles de Newton...
Peut-être est-ce cela qui a inspiré la devise du Théâtre du Sang ?
La Science est faite pour rassurer.
L'ART POUR DERANGER !